Innovation numérique : pourquoi tout le monde s'en fout !
Qui a tué mon projet ?
Pour une fois, j’ai eu une idée géniale. C’est du moins ce que m’ont affirmé de concert notre DRH et notre directeur marketing… C’est dire si c’est génial ! Il se trouve que mes enfants ont ressorti de la cave le fameux jeu Cluedo. Vous savez, celui qui consiste à trouver un assassin, son arme du crime et dans quelle pièce il a tué ! J’ai eu l’idée d’appliquer ce principe ludique à la gestion des projets informatiques. Après tout, le processus est le même : plusieurs personnes se réunissent dans un manoir (une salle de réunion) pour ce qui s’annonce être une réunion conviviale (les projets informatiques, c’est toujours convivial… au début !). Avec des individus à la personnalité plus ou moins atypique, qui vont s’entretuer. On reconnaîtra facilement, dans nos entreprises, le célèbre Colonel Moutarde-DAF, Madame Pervenche-DRH, Mademoiselle Rose, de la direction de la communication, l’inévitable professeur Violet de la R&D ou encore le Docteur Olive chargé par la direction générale d’administrer les bonnes potions aux managers malades que nous sommes… Et, évidemment, tous ces invités « se haïssent… cordialement » précise la notice du jeu. On se croirait au bureau !
J’ai donc fabriqué un plateau représentant non pas le manoir du jeu original, mais les plans des principaux bureaux : le mien, celui du DAF, du DG, la salle de réunion où se déroulent les comités de direction et d’administration, les locaux de nos prestataires, ceux des principales directions métiers pour lesquelles nous travaillons. Pour les personnages je me suis abstenu de les faire ressemblants, on ne sait jamais, avec quelques susceptibilités mal placées. Quant aux armes du crime, elles sont diverses : le ciseau budgétaire, le marteau à avenant, l’effet tunnel à ressort, le gestionnaire de changement rouillé, le cahier des charges soporifique, le développeur schizophrène, le slide en béton du consultant aux dents acérées, le porte-voix du responsable métier vociférateur et contondant… J’ai également prévu des cartes joker : Copil et Copro qui donne des indices sur qui a dit quoi lors des comités de pilotage et des comités projets. C’est souvent révélateur de relire les comptes-rendus pour identifier ceux qui ont des envies de meurtre sur un projet qui ne leur plait pas ou qu’ils n’ont pas envie de mener à bien…
La victime, en l’occurrence, un projet informatique de refonte de notre chaîne de facturation, n’a eu aucune chance : c’est le crime apparemment parfait et tout le monde a un alibi ! La DSI n’est pas responsable puisqu’elle avait un cahier des charges incomplet ; la direction métier avait pourtant bien exprimé ses besoins, donc elle n’est pas non plus responsable ; le DAF avait approuvé le budget, donc il n’y est pour rien ; les prestataires attendaient qu’on leur dise par quoi commencer et ne se mêlent pas de politique interne chez leurs clients ; les utilisateurs n’assistaient pas aux réunions de pilotage donc ils ne peuvent être responsables… Mais cela n’empêche pas tout ce petit monde de se soupçonner les uns les autres ! Nous avons joué avec les équipes de la DSI, officiellement pour « innover dans notre processus d’apprentissage des dysfonctionnements organisationnels et humains », c’est ce que j’ai indiqué à notre DRH pour justifier des heures de formation. Et pour notre première séance de jeu, nous avons rapidement trouvé la clé de l’énigme : c’était le DG, armé d’un ciseau budgétaire dans la salle du conseil d’administration qui avait tué notre projet. Damned, c’était donc ça !