Innovation numérique : pourquoi tout le monde s'en fout !
Poubelle la vie
Le mois dernier, je croise Julien Sponss-Aurizé, notre directeur marketing, qui m’apostrophe ainsi :
- Dis donc, comment tes équipes sont-elles au courant de notre développement en Europe de l’Est pour 2014 et que l’on aura besoin d’étendre les fonctionnalités de l’outil de CRM ?
Tout ce que j’ai pu répondre (en français dans le texte) fut : « ???? ». Car je n’avais pas entendu parler de son projet. S’il fallait que je m’occupe d’anticiper des mois à l’avance les conséquences sur le SI de toutes les éventuelles et hypothétiques circonvolutions du business, j’y perdrais la faible énergie qui me reste, je n’aime pas gaspiller… Et, en général, j’attends que le sujet soit abordé au comité de direction pour regarder le dossier et les possibles ennuis, qui, eux, n’ont rien d’hypothétiques, que cela va générer sur l’activité de la DSI. Mais de son projet en Europe de l’Est, rien…
- Qu’est-ce qui te fais dire que nous sommes informés ?
- L’un de tes collaborateurs est venu me voir pour me demander de lui préciser nos besoins en accompagnement. J’aurais préféré que tu m’en parles directement plutôt que de m’envoyer tes sous-fifres... Et puis l’impact sur le SI, franchement, je n’en rien à faire, tu te débrouilleras très bien pour gérer ça une fois les décisions prises au Comex, c’est quand même ton boulot…
- Je n’ai donné aucune instruction dans ce sens, lui assuré-je. Qui est venu te voir ?
- Un certain… Marc Alaculott. Et il avait des infos très précises sur le business plan prévisionnel et le planning de déploiement. Mais ce n’était qu’un document de travail interne à la direction marketing, c’est pour cette raison que je ne t’en ai pas parlé.
- Je vais voir ça avec lui.
C’est qui celui-là ? Je connais la plupart de mes collaborateurs, mais comme je délègue beaucoup, il arrive que je sois victime collatérale du turn-over de mes équipes, surtout pour les études et développement. D’autant que nous faisons appel, comme tout le monde, à des prestataires externes et mon trombinoscope n’est pas systématiquement à jour. Le Marc Alaculott en question est un consultant du cabinet Meyeur Sainou Lémeyeur qui, d’après d’autres collaborateurs, a l’habitude de travailler tard dans nos locaux. J’ai rappelé mon collègue marketeux.
- Tu n’aurais pas laissé traîner des documents sur la photocopieuse ou dans une poubelle, par hasard ?
- Possible, nous avons fait une dizaine de copies papier des slides pour une réu interne.
- Ne cherche pas plus loin, c’est probablement l’explication.
Il m’est alors venu une idée que j’ai soumise à Julien Sponss-Aurizé. Nous avons fabriqué une fausse série de slides, faisant croire qu’un autre projet de nos amis du marketing était très avancé et détaillé nos besoins en prestataires externes pour le SI, en prenant bien soin de cibler les pays où le cabinet Meyeur Sainou Lémeyeur était le mieux implanté. Le document a été négligemment oublié, un soir vers 19 heures, dans la poubelle près de la photocopieuse, là où atterrissent les copies en surplus… Nous avons parié que les associés dudit cabinet saliveraient d’avance à la perspective de tripler leurs volumes d’honoraires et leurs bonus. Cela n’a pas loupé : dès le lendemain, j’ai reçu un appel d’un de leurs partners souhaitant faire un point avec moi « dans le cadre de notre fructueuse collaboration ». Et il a évidemment évoqué le contenu de notre présentation factice pour tenter de se positionner. Quand je lui ai expliqué le stratagème que nous avions mis en place il n’a absolument pas paru étonné. Ni même été pris de remords !
- Les poubelles ? Vous savez, un petit coup d’œil est toujours utile, tous les consultants font ça, et ça marche trois fois sur quatre. Notre business n’est pas facile et toutes les opportunités sont bonnes à prendre…
Après avoir prié Marc Alaculott de faire ses bagages (sans emmener d’autres documents), je viens juste de signer le bon de commande d’une dizaine de broyeurs dernier cri…