Je suis toujours amusé par le double sens des mots. Nos chers dirigeants, dans leurs discours toujours enflammés, souvent trop longs, parfois ennuyeux, jamais hors sujet, se laissent quelquefois aller à employer des expressions qui, sur leurs fiches font très sérieux et en imposent dans le genre « je suis le chef et j’en connais plus que vous en stratégie, etc » mais, lorsqu’on oublie l’orthographe pour se concentrer sur la phonétique, prennent un tout autre sens comique. On passera sur les plus courants : « Tout ou partie » (par le type qui a perdu son chien), « on est dans les temps » (on espère qu’il sait nager), « ce faisant » (pour les chasseurs), ou les célèbres « utilisateurs finaux » qui ne le sont pas toujours.
A l’occasion de la présentation de ses vœux pour 2008, exercice obligé de tout dirigeant qui se respecte, notre Président, Pierre-Henri Sapert-Bocoup nous a expliqué sa vision stratégique pour les douze prochains mois. Au moment psychologique de son discours (il y en a toujours un dans les discours des dirigeants, comme dans les séries américaines, surtout s’il s’agit d’annoncer un gel des salaires ou une délocalisation chez nos amis asiatiques), après une pause de quelques secondes, notre cher PDG nous annonce : « Ce faisant, je vous le dis, mes chers amis, pour réussir tout ou partie de notre stratégie vers les clients finaux et être dans les temps, nous mettrons les moyens et je compte sur tous les responsables opérationnels pour soutenir ce principe de management et de bon sens».
J’ai su, à ce moment précis, que la stratégie était mal partie. « Mettre les moyens » ? Non merci, je préfère « mettre les meilleurs », pas ceux qui n’ont aucun talent ! C’est particulièrement vrai dans le domaine des systèmes d’information. Si je mets « les moyens » nous ne nous en sortirons pas ! Dans nos équipes, nous avons tous des collaborateurs plus ou moins performants, c’est la loi statistique de toute entité de plusieurs personnes : 15% de tire-au-flanc, 15% de très bons et le reste qui hésite en fonction de son humeur et de ses perspectives de RTT.
Le problème est de ne jamais rompre cet équilibre fragile sous peine d’introduire des dysfonctionnements dans la DSI. Trop de bras cassés et « la DSI comme centre de coûts » sera le slogan de l’année 2008 parmi les responsables métiers qui sont aussi nos clients internes. Trop de talents parmi vos collaborateurs ? On n’hésitera pas à tailler dans le vif tant la productivité de vos équipes sera supérieure à la moyenne.
Mais allez donc expliquer à votre DG que vous ne voulez pas « mettre les moyens » pour appliquer sa stratégie. Si vous avez la chance qu’il soit doté d’un minimum de sens de l’humour, vous en rirez ensemble de bon cœur, même si chacun considérera probablement l’autre comme faisant partie de cette catégorie. S’il n’a aucun sens de l’humour, du moins dans l’enceinte de l’entreprise, vous perdrez votre temps. Et si vous entreprenez la lourde tâche de lui expliquer les subtilités de la langue française, il y a fort à parier que votre compte est bon : pour passerez définitivement pour un marginal, voire, insulte suprême, pour un dangereux intellectuel !
J’attends le pire, lorsque notre PDG, nous annoncera qu’il lancera une stratégie « Triple Play », ce qui signifiera pour lui : croissance, innovation, profit. Dès que j’entendrai cette expression, je comprendrai qu’il s’agira plutôt d’une stratégie « Triple Plaie » : licenciement, délocalisation, réduction de budgets. Tout comme je refuse d’embaucher des profils « triple plaie » : ceux qui ne savent rien, ne comprennent rien et cassent les pieds de tous leurs collègues ! Cela n’a rien de personnel, c’est juste pour ne pas rompre mon équilibre fragile dans la répartition des compétences de mes équipes…