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Chroniques d'avant Best Practices

  • Toi y’en a être DSI, toi y’en a lire mon livre blanc

    sehiaud-LMI.JPGJe suppose que, comme moi, vous êtes abreuvés de newsletters qui vous vantent les livres blancs proposés par nos chers fournisseurs. On peut y découvrir la beauté des paysages techniques, la sérénité du discours commercial, l’air pur des descriptifs des fonctionnalités et le dépaysement est assuré grâce à un vocabulaire des plus sophistiqués. La plupart de ces newsletters passent à la poubelle sans que j’ouvre l’e-mail.

    L’un des derniers que j’ai reçu concernait la sécurité. Ça tombe bien, on est en train de refondre notre politique de sécurité des systèmes d’information. On nous proposait un contenu sponsorisé par un grand fournisseur, leader sur son marché, comme on dit, en l’occurrence Dell. En principe, c’est du sérieux… Et c’est diffusé par Le Monde Informatique, il paraît que c’est aussi du sérieux (télécharger l'image avec le texte lisible).

    Mais, avant d’aller plus loin, je lis systématiquement le petit texte qui, en principe, doit nous donner envie d’aller plus loin. Cette fois, je n’ai pas été déçu : je n’ai rien compris ! Le texte nous explique ainsi : « CEO vivent dans la peur des violations de données, des pertes de données et les échecs de mise en conformité. CIO peinent à boucler le budget qu'ils savent est nécessaire pour protéger l'entreprise. » C’est du véridique (voir photo). Cela me fait penser au langage qu’employaient les explorateurs s’estimant cultivés, vis-à-vis de tribus primitives et hirsutes pour les embobiner, avant de piller leurs ressources naturelles.

    On imagine facilement la scène : une horde de commerciaux avant-vente débarque sur une île luxuriante peuplée de DSI qui ne savent plus quoi faire de leurs ressources (ne vous emballez-pas, c’est de la fiction, c’est juste pour l’exemple…). Avec un dialogue du style « Toi y’en a être DSI, toi y’en a forcément besoin de mon livre blanc, avant que je te siphonne ton budget. » Ça serait plutôt mal parti pour ces pauvres commerciaux qui n’auraient plus qu’à retourner d’où ils viennent ! On nous explique aussi : « Comme il dirigeants d'entreprises et professionnels de l'informatique de chercher des moyens d'éviter d'être victimes d'une implacable course aux armements en matière de cybersécurité. » Évidemment, c’est nettement plus clair !

    Ce texte a bien sûr été conçu par de vrais experts du marketing, puisqu’il nous incite à un « Call to action », comme on dit dans le milieu de la pub. Que faut-il faire ? « Rejoindre éditeur de ComputerworldUK en chef et dirigeants de Dell dans une série de discussions vidéo sur la façon de répondre à la nature de la menace de changer. » Je me vois bien parler comme ça lors de notre prochain comité de direction consacré à la politique de sécurité. « Toi DG, moi DSI, toi y’en a donner à manger plein de sous à moi, toi certain faire bon investissement… » Je suis sûr de remporter un franc succès, mais vraisemblablement temporaire… J’aurai beau affirmer, preuve à l’appui, que ce sont nos fournisseurs qui s’expriment de cette manière et que je ne fais que suivre leur exemple, j’ai peur de ne pas parvenir à convaincre…

    Le pire est que si les fournisseurs conçoivent leurs solutions de la même manière qu’ils élaborent leurs contenus pour les promouvoir, il ne vaut mieux pas acheter. On ne sait jamais… Surtout si les solutions sont testées par ceux-là mêmes qui écrivent les textes !

    PS : je vous rassure, dans  une version corrigée de la newsletter, c'est écrit de façon compréhensible. Il y en a quand même un qui s'en est aperçu...

  • Régulateur de vitesse

    Mon nouveau véhicule de fonction est équipé d’un régulateur de vitesse. Il paraît que c’est un outil technologique qui souffre de bogues inexplicables. Tiens, cela me rappelle quelque chose : nos logiciels, qu’ils soient développés en interne ou acquis auprès d’éditeur de logiciels. Voilà un outil technologique qui facilite grandement la vie de l’automobiliste pour lui rendre la vie plus facile. Et qui y parvient dans 99,9999% des cas, comme disent les fournisseurs de services de haute disponibilité.

    Mais il suffit que cet outil technologique déraille pour que s’exprime ce que j’appelle le syndrome de « l’arrogance technico-technicienne ». Que dit en effet le patron de Renault à ses clients qui mettent en cause la technologie qu’il leur vend très cher ? Que c’est de leur faute… Que la technologie n’est absolument pas en cause… Qu’ils confondent la pédale d’embrayage avec celle du frein. On retrouve là l’arrogance de l’homme de science devant un quidam qui l’utilise ou la subit : la rationalité technicienne ne peut et ne doit être remise en cause sous aucun prétexte.

    Conclusion : en cas de problème, c’est forcément l’utilisateur et ses mauvaises pratiques qui sont en cause. On ne peut qu’applaudir une telle approche. Parvenir à culpabiliser les clients qui vont se demander s’ils ne sont pas devenus dyslexiques et débiles, c’est très fort !
    J’aimerais tant faire de même avec nos utilisateurs de systèmes d’information ! Hélas, pour nous, DSI, cette stratégie ne fonctionne pas. J’imagine mal expliquer à nos directions métiers que les bogues créés, involontairement bien sûr, par nos équipes de développeurs ou par celles de nos fournisseurs préférés, sont de leur faute. «La technologie est toujours parfaite, c’est vous qui ne savez pas vous adapter en cliquant n’importe où en confondant le clavier-embrayage avec la souris-frein! » : le meilleur moyen de me faire des amis dans le nouveau placard que je ne manquerai pas d’occuper aussitôt, avant d’aller pointer à l’ANPE…

    Certes, on trouve encore, çà et là dans nos entreprises, quelques responsables bureautiques acariâtres et aigris de ne pas avoir fait une carrière de chef de projet. Aux utilisateurs qui se posent légitimement des questions, ils répondent systématiquement que ceux-ci sont totalement (ir)responsables. J’ose espérer qu’ils sont en voie de disparition ou de reconversion chez des professionnels de l’infogérance. La foi technicienne a toujours des adeptes…

  • Si, senior…

    J’ai eu, le mois dernier, une malencontreuse idée : établir la pyramide des âges de la direction informatique. Surprise, elle est beaucoup plus déformée que je ne le pensais. La proportion d’informaticiens de plus de cinquante ans est ainsi de 40%. « C’est presque deux fois plus que la moyenne du groupe », m’a précisé Françoise Plansoc, notre DRH qui, à 49,5 ans, ne va pas tarder à passer elle aussi de l’autre côté de la barrière fatidique. Au-delà du constat, il nous faut trouver des solutions.

    Du côté de la DRH, c’est le règne de l’imagination au pouvoir, c’est bien connu. En clair : rien à attendre de concret. « Débrouillez-vous pour régler le problème », me dit la DRH, relayant le discours de la direction générale. L’idéal est de virer les plus improductifs et de les remplacer par deux fois plus de jeunes diplômés du type jeunes-loups-dévorés-par-l’ambition frais émoulus d’une école d’ingénieurs bien classée. D’autant qu’il est relativement facile d’identifier les dits-improductifs, malgré leurs stratagèmes pour paraître en permanence occupés.

    Leur technique favorite ? Se promener en permanence avec un listing ou un cahier des charges sous le bras. Bien sûr, on nous objectera que, dans l’informatique, « l’expérience des années a une valeur inestimable », comme me serine la direction générale. De toute façon, nous n’avons guère le choix : il faudra garder nos seniors et s’en accommoder.

    J’ai quand même réussi à limiter les dégâts en suggérant à la DRH de créer des postes de consultants technologiques internes. Avec des volontaires promptement inciter à profiter « de nouvelles opportunités de développement de carrière dans le groupe ». Hors de la DSI bien sûr, et pour le plus grand bien des directions métiers. Vive la transversalité !

  • Les consultants ne s’usent (air connu…)

    On connaît tous la formule. Dans mon budget, je prend soin, tous les ans, de négocier une ligne de crédit pour l’achat de prestations de consultants dits en stratégie. Non pas que je manque d’idées, bien au contraire. On ne m’enlèvera pas de l’idée que les seuls qui connaissent à fond les métiers de l’entreprise et, surtout, ses process, sont ceux qui y travaillent et non pas ceux qui y passent de temps en temps pour un coût journaliser souvent prohibitif, auréolés d’un savoir-métier ingurgité avec forces lectures plus ou moins savantes.

    Cela dit, je tiens à conserver ma ligne budgétaire, non pas pour recruter des consultants en stratégie qui vont m’apprendre ce que je sais déjà mais pour justifier les décisions auprès des directions métiers et de la DG. Un formidable gain de temps : ainsi, dans n’importe quelle réunion, je ne manque jamais, lorsqu’un point de l’ordre du jour pose problème et que personne ne tranche pour une décision claire et définitive, de préciser : « qu’en pensent les consultants de Meyer Saïnou Laimeyer ? ».

    Nous trouvons toujours une réponse et les avis de ces derniers ne souffrent d’aucune contestation. Ce cabinet de conseil fait autorité sur la place ! C’est très pratique pour avaliser des décisions qui, autrement, demanderaient des réunions très consommatrices de temps. Surtout pour parvenir au même résultat.

  • Wonderful Open World

    Je n’assiste généralement pas aux conférences auxquelles nos fournisseurs préférés nous invitent régulièrement. J’ai déjà donné : entre la langue de bois, les présentations interminables Powerpoint et les commerciaux avant-pendant-après vente pots de colle, je préfère rester dans mon bureau. On y trouve aussi de la langue de bois (la DG n’est pas en reste), des collections de slides (pour les comité de pilotage projets notamment) et des collaborateurs pots de colle (souvent pour des motifs futiles d’ailleurs).

    Mais, au moins, nous sommes dans un environnement familier. De temps en temps, je fais quand même un effort. Cette fois, il s’agissait d’une conférence sur l’Open Source. Question changement d’univers, je n’ai pas été déçu. J’ai crû retrouver la magie d’Eurodisney (j’y suis allé le mois dernier avec les enfants) : un esprit communautaire très présent, une culture de partage, un altruisme omniprésent, bref un « wonderful world » que les orateurs successifs (tous de fervents supporters du logiciel libre) se sont attachés à mettre en exergue. « Tout le monde travaille pour tout le monde, au meilleur coût et tout le monde aide tout le monde en corrigeant les bogues dès qu’ils apparaissent ».

    Pourquoi pas ? En soi, l’Open Source est une bonne chose, avec de solides socles technologiques : nous l’avons d’ailleurs mis en œuvre pour nos applications internet et cela fonctionne très bien. Et je ne vous parle pas des coûts, qui ont vraiment fondu, ce n’est pas pour déplaire à notre DAF. Non, ce qui me gêne, c’est le substrat idéologique qui s’insinue inévitablement dans chaque débat sur le logiciel libre. Et gare à celui qui ose émettre un quelconque doute, de bonne foi ! C’est relativement agaçant pour les DSI car, comme tout dogmatisme, nous pouvons être induit en erreur au nom de principes qui n’ont souvent rien à voir avec la réalité du business, de nos coûts et de nos organisations.

  • Ca n’a rien de personnel

    Il a deux phrases qui me font toujours sourire. Elles sont la plupart du temps prononcées par les top managers qui s’adressent à leurs subordonnés en instance de placardisation ou de voyage aller simple vers l’ANPE. La première est : « cela n’a rien de personnel ». En vigueur plutôt dans les entreprises anglo-saxonne, cette petite phrase est toujours associée à une mauvaise nouvelle et sert d’excuse à celui qui la prononce : « tu es viré mais cela n’a rien de personnel ». Bref, il ne s’est rien passé et restons bons amis. Inutile de dire que personne ne croît que « cela n’a rien de personnel » !

    La seconde expression que l’on retrouve régulièrement est la suivante : « je vous renouvelle ma confiance ». C’est presqu’à coup sûr le prélude à une mauvaise nouvelle, mais différée. On emploie en effet « je vous renouvelle ma confiance » avant le « ça n’a rien de personnel ». Entre les deux, peuvent s’écouler quelques semaines, voire quelques mois, mais jamais quelques années. Les statistiques sont formelles : tous ceux à qui l’on a renouvelé la confiance se sont fait viré dans un délai inversement proportionnel à la taille de l’entreprise. On l’observe en politique : un premier ministre à qui le Président de la République renouvellera sa confiance n’en aura plus pour longtemps. Amis DSI, si, un jour, votre DG vous renouvelle sa confiance, c’est que probablement vous êtes sur un siège éjectable. Mais rassurez-vous : dans tous les cas, cela n’aura rien de personnel…

  • Hors frais de service

    J’adore les publicités pour les compagnies aériennes, surtout lorsqu’elles se revendiquent « low cost ». La stratégie qui consiste à annoncer un prix puis à écrire, en tous petits caractères, que ce prix attractif ne comprend pas les taxes, les frais de dossiers et autres petits prélèvements obligatoires est vraiment maligne ! J’aimerai pouvoir en faire autant. Imaginez que nous annoncions le coût d’un grand projet à notre comité de direction, avec un total défiant toute concurrence. Par exemple : l’ERP aller-retour à 50000 euros ! Applaudissements nourris à ma droite, du coté du DAF et de la direction générale, à ma gauche du côté du marketing et de la direction logistique. Il suffirait de cacher, en caractères 8, un petit texte illisible, sauf à porter des verres progressifs et à se positionner à moins de dix centimètres du dossier.

    Par exemple : « ce prix s’entend hors frais de services (en clair, le coût des intégrateurs qui vont nous installer l’ERP low cost), hors frais de dossier (et il en faut des dossiers et des réunions) et hors frais d’enregistrement (et il en faut aussi des heures à écouter les utilisateurs et les maîtres d’ouvrage nous raconter ce qu’ils veulent, ce qu’ils ne veulent pas et ce que peut-être-ce-serait-bien qu’on-ait-ça-si-ça-coûte-pas-trop-cher) ».

    Une stratégie risquée ? Hélas, oui, même si l’on expliquait au comité de direction que lire les dossiers avant les réunions constitue une bonne habitude que tout dirigeant se doit d’avoir. Et même si l’on justifiait que décliner une stratégie utilisée par d’autres ne constitue rien d’autre que l’application de bonnes pratiques. On pourrait se voir rétorquer que notre budget système d’information sera aligné sur les coûts indiqués. Finalement, je préfère charger la note : notre comité de direction est encore habitué à voyager en First Class…

  • Impunité

    Lu dans l’excellent quotidien Les Echos, le 2 janvier 2007 : un premier article titré : « affaire des stocks-options : soutien inconditionnel d’Apple à Steve Jobs ». Et un autre, juste à la page suivante : « Altran : le départ de Christophe Aulnette coûtera plus de deux millions d’euros ». Bigre ! Je n’imagine même pas, dans la presse, des titres concernant les DSI, du style : « Malgré un plantage informatique dévastateur qui a fait plonger le cours de bourse le DSI xx bénéfice d’un soutien inconditionnel de sa direction générale ». Ou encore : « Le départ de Monsieur X, DSI de la société non moins X coûtera deux millions d’euros ». J’imagine même tout le contraire : c’est la porte, sans indemnités ! Voilà des individus qui certes, ont d’immenses qualités, mais ne semblent pas à leur place : l’un a falsifié les dates d’exercice de ses stocks-options (un simple comptable ne se risquerait pas à modifier la date d’une facture, il sait où il finira : au pire à l’ANPE, au mieux, en offshore avec les autres) ; le second a, semble-t-il, été victime de désaccords stratégiques. Il n’a pas dû se renseigner où il mettait les pieds avant d’y aller. Ou alors il a accepté le poste en négociant un confortable parachute doré, ce qu’il a fait.

    On peut regretter que des directions générales se commettent dans des pratiques frauduleuses ou s’embarquent dans des situations dignes d’une cour d’école. Mais nous avons quand même un point commun : les mauvais DSI, comme les mauvais managers, retrouvent presque toujours un poste. On ne citera évidemment pas de noms mais chacun d’entre nous doit en connaître au moins un, à propos duquel on a pensé, même subrepticement : « mais pourquoi l’ont-il recruté, tout le monde sait qu’il n’a pas le niveau ! ». Certes, mais les cabinets de recrutement et les futurs employeurs ne le savent toujours pas. Et c’est tant mieux. Il faut bien que, nous aussi, nous ayons quelques petites compensations pour notre dur métier qui peut être éphémère. On a l’impunité qu’on peut…